Les cours du pétrole: synthèse
Les cours du pétrole ont plus que doublé entre 2002 et
2007. La guerre en Irak et les tensions internationales expliquent en partie
cette hausse des cours, qui trouve aussi son origine dans des facteurs plus
structurels. En un siècle, le développement
économique s’est accompagné d’une dépendance croissante à l’égard du pétrole
qui compte désormais pour 40 % dans la consommation mondiale d’énergie. Les ressources disponibles sont
encore abondantes mais 60 % d’entre elles se trouvent au Moyen-Orient. Leur
exploitation et leur transformation en produits finis génèrent un chiffre
d’affaires de plus de 2 000 milliards d’euros. On mesure l’ampleur des enjeux
qui sont à la fois économiques, financiers et géostratégiques.
Pétrole et relations internationales
Internationalisation
et affrontements (1945-1970)
Actuellement, l’économie du
pétrole paraît forcément internationale. Le principal pays
producteurs reste – les Etats-Unis – même si, dans la première moitié du
XXe siècle, s’affirment de nouveaux pôles de production pétrolière au
Moyen-Orient, en Roumanie, au Mexique et au Venezuela. Très vite
l’internationalisation s’accélère, à la faveur d’un événement symbolique :
en 1947, les États-Unis deviennent définitivement importateurs nets de pétrole,
une énergie pour eux essentielle qui leur apporte vitalité industrielle et
puissance militaire, et dont ils maîtrisent la technologie et le savoir-faire.
L’internationalisation de l’économie pétrolière se renforce
pendant les Trente Glorieuses en raison d’une forte hausse de la demande en
Occident. Celle-ci résulte de la croissance que le bas prix du pétrole nourrit
tout au long de la période, avec tout particulièrement le développement des
transports et de l’industrie, qui abandonnent petit à petit le charbon.
la décolonisation et la question du développement mettent le
pétrole au cœur des relations internationales. Plusieurs pays, intégrés dans
des systèmes coloniaux, se révèlent potentiellement riches en ressources
pétrolières : Algérie, Gabon, Nigeria, Indonésie. Les actifs des
compagnies internationales sont partiellement nationalisés, les relations avec
les anciennes puissances coloniales se tendent.
À l’instar des pays nouvellement indépendants, les principaux pays
exportateurs, en particulier au Moyen-Orient, reprennent le contrôle de leurs
ressources. Ils se heurtent parfois aux États consommateurs, qui n’hésitent pas
à intervenir dans les affaires intérieures quand leurs intérêts sont en cause,
comme c’est le cas après l’épisode Mossadegh en Iran en 1953. Mais la tendance
à la prise de contrôle au moins de l’amont pétrolier par les pays producteurs
est générale et irrésistible. Plusieurs de ces États s’associent en créant
l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1960.
Les pays du Moyen-Orient, largement majoritaires dans ce
mouvement, appuient la cause de l’ensemble des pays arabes. Ils prennent
conscience de leur poids dans le système économique mondial et apprennent à
faire du pétrole une arme politique.
Du double choc
pétrolier à une plus grande coopération internationale (1970-2003)
Au début des
années 1970, la demande de pétrole s’accroît, notamment en provenance des
États-Unis où l’extraction est de plus en plus coûteuse. Ceux-ci préfèrent
s’approvisionner à bas prix au Moyen-Orient. Le dollar se dévalue : les
pays exportateurs s’estiment exploités. La fin de la convertibilité du dollar
en or (1971) déclenche une vague de hausses des prix du pétrole et leur
indexation sur un panier de monnaies.
Les principales victimes de cette hausse sont en fait les pays en
développement, qui s’endettent auprès de la communauté internationale. La
conflictualité sous-jacente s’exprime : le terrorisme extraterritorial
apparaît. Dans ce contexte de déséquilibres persistants, et malgré des signes
de reprise économique, la chute du Shah en 1979 entraîne le retrait du pétrole
iranien, provoque le deuxième choc pétrolier et relance la hausse des prix. En
réalité, il s’agit de la deuxième étape d’un double choc qui, en une petite
décennie, transforme de fond en comble l’économie de la planète et favorise la
mondialisation du pétrole. La hausse vertigineuse des prix du brut a pour
première conséquence de rendre rentable l’exploitation de gisements moins
faciles d’accès que ceux du Moyen-Orient. Elle relance l’exploration et
progressivement la production en de nombreux points du globe. De nouvelles
régions pétrolières s’imposent : Indonésie, Afrique, mer du Nord, Amérique
latine, URSS.
Ainsi, assez vite, le fonctionnement international du marché et
les mesures d’adaptation prises dans chaque pays consommateur permettent de
« digérer » le double choc pétrolier.
Les raisons de la fluctuation des
cours depuis 2003 : tensions internationales et contraintes techniques
La variation des cours du pétrole, qui ont triplé entre 2002 et
2006 pour atteindre les 78 dollars le baril en août 2006 avant de redescendre,
est le résultat d’une combinaison de facteurs géopolitiques, économiques et
techniques.
Les facteurs
géopolitiques
Ressource stratégique extrêmement lucrative, le pétrole attise les
convoitises. La volonté de s’approprier ou de contrôler des réserves
pétrolières peut être un facteur déterminant de déclenchement de conflits
internationaux, impliquant l’engagement des grandes puissances ou, au
contraire, limités à deux États voisins.
L’impact politique du pétrole se ressent en outre au niveau
interne. Pour la plupart des États producteurs, l’exploitation de pétrole se
traduit par le développement d’une économie de rente. Cette perturbation du
système économique se répercutant sur le système politique, le pétrole se
transforme en un facteur de déstabilisation politique et sociale. Dans les cas
extrêmes, des pays sombrent dans des guerres civiles dont les ressorts sont
directement pétroliers.
Les foyers de tensions qui s'accumulent dans les pays producteurs
de pétrole sont la principale cause de l'envolée récente des cours du baril de
brut. Le Moyen-Orient constitue le principal facteur de tension sur les
marchés. Redoutant une interruption durable des approvisionnements ou le
blocage du détroit stratégique d'Ormuz, les opérateurs réagissent à chaque
nouvelle en provenance des deux principaux fronts actuels de tensions : la
crise autour du nucléaire civil iranien et la guerre en Irak. A cela s'ajoute
la permanence de la menace terroriste dans certains pays producteurs du Golfe.
D'autres pays producteurs - Venezuela, Tchad, Russie - sont également dans une
situation jugée "inconfortable" et les opérateurs des marchés
scrutent avec inquiétude l’évolution interne de ces pays. Les foyers de tension
internationale affectant les cours du pétrole ne concernent pas uniquement les
pays producteurs : les tirs de missile et essais nucléaires nord-coréens
ou la guerre au Liban durant l’été 2006 ont entraîné des perturbations sur les
marchés.
La guerre en Irak
Plus de trois ans après l'invasion du pays par une coalition
internationale menée par les Etats-Unis, l'Irak est toujours plongé dans
l'incertitude politique et le chaos économique et social.
Les sabotages à répétition des infrastructures pétrolières par les
opposants au nouveau régime maintiennent la production autour de 1,5 million de
barils par jour, soit un niveau de production inférieur de 40 % par
rapport à celui d'avant-guerre.
Le programme
nucléaire en Iran
Le refus de Téhéran de renoncer à enrichir de l'uranium, malgré
les injonctions des Nations Unies et les pressions de la communauté
internationale, fait craindre une nouvelle crise de grande ampleur entre les
Etats-Unis et l’Iran, quatrième producteur mondial de pétrole. Téhéran pourrait
riposter à toute sanction prise à son encontre en coupant ses exportations
-estimées à 2,7 millions de barils par jour - ou en bloquant le détroit
d'Ormuz, passage stratégique par lequel transite près de 20 % de la
production mondiale de brut.
Le mouvement
séparatiste au Nigeria
Au Nigeria, sixième pays exportateur mondial de brut, des
militants séparatistes qui réclament l'indépendance de la région pétrolière du
Delta du Niger (sud) ont multiplié les prises d'otages et les attaques de sites
pétroliers, faisant chuter de plus de 20% la production. Or le brut nigérian
est particulièrement prisé pour sa qualité. Les analystes estiment que
l'instabilité va se poursuivre au moins jusqu'à l’élection présidentielle de
2007, en raison de la candidature impopulaire du président en exercice pour un
troisième mandat non autorisé par la Constitution.
Le contrôle
étatique du pétrole en Amérique latine
En Amérique latine, on assiste à un véritable retour au
« nationalisme pétrolier ». Au Venezuela, outre les menaces
régulièrement proférées par le président Hugo Chavez d'interrompre ses
exportations vers les Etats-Unis, l’Etat oblige les compagnies étrangères à
s'associer à la société nationale PDVSA dans l'exploitation du pétrole
vénézuélien. La Bolivie a adopté une nouvelle loi établissant le contrôle
étatique sur les réserves d'hydrocarbures du pays, tandis qu'une nouvelle
législation en Equateur accroît les impôts des compagnies pétrolières
étrangères.
La saison des
ouragans dans le golfe du Mexique
Les Etats-Unis sont, de très loin, le plus important pays
consommateur et importateur de pétrole dans le monde. Leur production est non
négligeable, même si elle a tendance à baisser inexorablement depuis plusieurs
décennies. La saison des ouragans, qui dure de juin à septembre dans
l'Atlantique, enregistrent plusieurs cyclones majeurs par an, et les marchés
craignent pour les sites d’extraction off shore du Golfe du Mexique, déjà
dévastés par le passage des cyclones Katrina et Rita en août 2005. Les
opérateurs montrent donc des signes de nervosité à l'approche de chaque saison
des ouragans.
Le rôle de la
Russie
Outre la reprise en main des
compagnies pétrolières et gazières russes par les autorités de Moscou,
celles-ci font de plus en plus pression sur les compagnies étrangères, retirant
ou limitant les licences d’exploitation. Dans sa volonté de retrouver une place
de premier plan dans les négociations internationales avec les Occidentaux, la
Russie du président Poutine est suspectée d'utiliser la flambée des cours et
ses énormes ressources énergétiques - elle est assise sur les premières
réserves gazières au monde - comme arme de pression.
Les facteurs techniques et
économiques
Le manque de
capacités de production
La plupart des pays producteurs pompent au maximum de leurs
réserves et seule l'Arabie saoudite dispose réellement de capacités de
production non utilisées. Cette faiblesse de marge de manœuvre en cas de
défaillance dans l'un des pays producteurs constitue l’un des sujets de
préoccupation majeurs des opérateurs de marché. De manière générale, les difficultés
rencontrées ces dernières années ont toutefois conduit à une prise de
conscience tant des producteurs, qui accroissent peu à peu leurs
investissements, que des consommateurs, qui ont renfloué leurs stocks.
Le manque de
capacités de raffinage
Les ravages des cyclones Katrina et Rita aux Etats-Unis ont
contribué de démontrer les faiblesses des investissements effectués par
l’industrie pétrolière. Aucune raffinerie n'a été construite en Europe ni aux
Etats-Unis depuis 30 ans et celles qui existent ont souvent besoin d'être
rénovées. Beaucoup sont inadaptées au brut lourd, le seul que peuvent ajouter
les pays producteurs à leur offre actuelle. Le manque de produits raffinés
contribue à alimenter la hausse des cours du brut.
Une croissance de
la demande toujours soutenue
La reprise quasi-simultanée de la croissance dans toutes les
économies du monde depuis 2003-2004 a entraîné un boom de la consommation de
pétrole aux Etats-Unis et en Chine surtout. L'Agence internationale de
l'Energie prévoit pour 2007 une progression de 1,7 % de la demande
mondiale de pétrole, à 86 millions de barils par jour.
L'intérêt des
investisseurs et la spéculation
Si les fonds de pension sont massivement présents sur les marchés
pétroliers comme sur l'ensemble du secteur des matières premières, ils
n’opèrent pas toujours dans une optique spéculative. Selon certains experts, la
spéculation amplifie le mouvement de hausse des cours, mais n'en est pas à
l'origine.
Source :
extraits de l’article de Hervé l’Huillier publié in Questions internationales
n° 2, « Le pétrole : ordre ou désordre mondial »,
La Documentation française, juillet-août 2003 (épuisé).